Si le virtuel n’était qu’un doux rêve, et le retour au réel un réveil d’autant plus douloureux ? d’iCloud à l’orage de la désillusion…

Et si Apple ne produisait, en réalité, que les éoliennes de l’informatique du futur…, autrement dit, du vent transformé en juteux bénéfices au prix de notre liberté… ???

 

 

Parmi les nouveautés qu’Apple vient d’annoncer à la WWDC, ce lundi 6 juin, et dont j’aurai encore amplement le temps de vous reparler d’ici à ce qu’elles soient effectivement disponibles en version « grand public », je n’ai pas manqué de retenir le lancement imminent d’iCloud, service destiné à se substituer majestueusement à MobileMe en ce qu’il permettra non seulement de stocker toutes sortes de fichiers sur un disque dur virtuel, de synchroniser périodiquement quelques catégories de données, de mettre ses albums photos à la disposition d’un public plus ou moins restreint ou de monter un site Internet entièrement en osmose avec les fonctionnalités d’iWeb, mais surtout de déléguer en temps réel sa vie électronique tout entière aux « nuages », autrement dit à de gigantesques data centers disséminés sur l’ensemble du Globe, tant et si bien qu’il deviendra bientôt relativement secondaire de savoir au moyen de quel matériel y accéder puisque tout, y compris le tarif et les modalités d’utilisation du service, ne seront plus, pour nous autres clients finaux, qu’une simple question de logiciel ! À charge ensuite, pour des entreprises asiatiques sciemment reléguées au rang d’ateliers bon marché de la toute-puissante pomme croquée, de nous fabriquer illico les quelques résidus de hardware en guise de chaînons manquants entre ce qu’il reste de nos méninges et ce que leurs « nuages » aspirent à devenir : à savoir l’instrument privilégié d’une désintégration librement consentie de nos individualités dans le flux continu de l’uniformisation des consciences, instrument aux effets d’autant plus ravageurs que le nuage, auquel notre imaginaire prête volontiers cette extraordinaire aptitude à changer de forme, de contenance et de trajectoire quand bon lui semble, symbolise à lui seul notre ardent désir, à tous, de prendre de la hauteur pour transcender enfin les frontières, géographiques ou cognitives, de notre triste condition quotidienne… !

 

Loin de moi, l’idée de rejeter la mise en réseau de l’Humanité : sans les bienfaits de l’Internet, des moteurs de recherche, de projets collaboratifs tels que Wikipedia, des sites de streaming comme Youtube ou Last.fm, des portails des principales administrations ou entreprises de ce monde, jamais je n’aurais pu m’épargner autant de recherches ou de démarches fastidieuses, exercer aussi aisément mon rôle de citoyen libre et informé, accumuler et partager autant de connaissances en si peu de temps, découvrir autant d’artistes ou d’oeuvres de qualité échanger si fréquemment et facilement avec des personnes dont j’ignore parfois à combien de milliers de kilomètres elles se trouvent de chez moi… ! Jamais je ne pourrais espérer que quiconque ne me lise dans des contrées si lointaines, de sorte qu’il ne me resterait plus, à ce compte-là, qu’à faire tout autre-chose que de léguer les présentes lignes à votre appréciation, voire à une éphémère postérité ! De même, alors qu’il ne m’a pas fallu un an, à compter de ma première connexion à Internet en juin 1997, pour tomber sous le charme des achats en ligne (y compris, évidemment, auprès de l’incontournable iTunes Store, archétype de l’abondance facilement accessible grâce à la convivialité de ses rayons virtuels et à la fonction de paiement en un clic), malgré le bilan économique et écologique plus que douteux du commerce électronique, je serais très mal placé pour vouloir faire marche arrière treize ans plus tard. Mais de là à accepter de mon propre chef, sous l’effet de la mode et des pressions publicitaires, d’abandonner progressivement des utilitaires aussi intrinsèquement locaux que mon traitement de texte au profit d’une version « cloud » qui stockerait en ligne la moindre de mes manipulations de clavier dans l’unique éventualité où je sois pris d’une soudaine envie de commencer cette phrase sur mon iMac, de la poursuivre sur mon MacBook Pro et d’y mettre la dernière main de maître sur mon iPhone 4, à troquer le cadre protecteur de mon ordinateur de bureau contre une confidentialité toute relative sur des serveurs distants dont je ne contrôle ni le fonctionnement, ni le niveau de sécurisation, à monnayer de la musique ou des livres réputés à bas prix (mais loin d’être bradés pour autant, compte tenu de la modique rémunération des auteurs et les faibles coûts de reproduction à l’unité), disponibles partout et sur tous mes supports à la fois, contre la traçabilité universelle de mes habitudes de consommation auprès d’une entreprise avançant avec détermination sur la voie d’un monopole mondial encore plus puissant et répressif envers les artistes que nulle autre major de l' »ancienne économie », il y a comme un abîme que j’ai l’intime conviction de ne pas avoir intérêt à franchir de sitôt, persuadé que de confier une trop grande part de vie privée à des appareils physiquement invisibles, parce que situés hors de ses murs, serait presque aussi fantaisiste que d’extirper l’esprit du corps ou de faire briller le Soleil en pleine nuit en-dehors du Cercle Polaire…

 

Bref : même si ces lignes me paraîtront peut-être ridiculement réactionnaires dans quelques années parce que mes élans geekesques et sociaux-conformistes auront eu raison de moi, j’ai comme l’impression qu’il y a, derrière cette vision idyllique des nuages électroniques portés par un vent de liberté, l’évident signe précurseur d’un violent orage de déshumanisation, qu’après le doux rêve de liberté, de communication tous-azimuts et de consommation facile, viendra le cauchemar de la perte d’identité, qu’aux ténèbres de l’inconscience collective organisée succèdera le réveil douloureux de la conscience de ne plus maîtriser notre destin, que ce soit en notre qualité de Non-Américains librement soumis à des mastodontes de droit californien, ou en tant qu’individus de plus en plus contraints à des formes de « socialisation » obéissant aux seules desiderata d’un oligopole médiatique planétaire qui risque de faire passer Rupert Murdoch pour un enfant de chœur dans une dizaine d’années si nous ne cherchons pas, dès à présent, à en limiter le pouvoir au strict nécessaire !

 

 

Voilà pour Apple, actualité oblige, mais il est bien vrai que cela pourrait tout aussi bien s’appliquer aux produits et services de ses concurrents, à commencer par Facebook, Twitter, Microsoft ou Google, tant ces entreprises-là participent à leur façon de cette même logique impériale. En tous cas, n’hésitez pas à me faire part de votre point de vue, surtout si vous êtes de celles / ceux qui trouvez votre compte dans les services de cloud computing, et souhaitez m’en présenter quelques avantages ! D’ici là, bonne continuation, et à très bientôt pour une deuxième partie, beaucoup plus personnelle !

2 commentaires sur « Si le virtuel n’était qu’un doux rêve, et le retour au réel un réveil d’autant plus douloureux ? d’iCloud à l’orage de la désillusion… »

  1. si je suis un peu dépassée par un sujet que je comprends mal, l’informatique en général, j’ai littéralement adoré ton introduction que je trouve excellente. même si j’utilise un imacbook, j’ignore totalement ce qu’est icloud donc je ne peux malheureusement pas donner mon avis. sinon tes mots sont suffisamment clairs pour que je les lise avec plaisir. je ne peux que te remercier de me donner l’impression (très fausse malgré tout) de n’être pas si nulle en informatique. je partage complètement ta conclusion. je suis assez convaincue que cette technologie informatique va se transformer un jour ou l’autre en dictature terrible que très peu seront capables de contrôler.

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    1. Mon inégalable Céline !!!

      Mais qui donc pouvait te soupçonner d’être en délicatesse avec les aspects pratiques de l’informatique avant que tu ne me donnes ici, de ton propre chef, des indices que je ne manquerais pas d’exploiter commercialement si je travaillais dans le marketing ou la publicité ? Imagine un peu où en sont déjà certains grands de ce monde à l’heure où je t’écris : si tu avais posté ce commentaire sur mon ancien blog, hébergé par la plateforme dédiée de chez Google, un robot se serait déjà chargé d’indexer tes mots quelques minutes après leur publication ; et, qui sait : peut-être aurais-tu déjà reçu dans ta boîte Gmail, bien avant que je ne te réponde, pléthore d’offre de formation en informatique ou de promotions sur les produits ou services des concurrents d’Apple (juste au cas où ton malaise avec l’outil informatique proviendrait des insuffisances de ton Mac actuel et où tu pourrais être tentée, moyennant un minimum de persuasion de la part d’un commercial, de changer de bestiole ou de revenir sous Windows) ! Bien entendu, ni Google, ni aucun autre prestataire de service ne revendiquerait clairement cette pratique à la limite de la légalité, même en droit américain, préférant probablement se réfugier derrière l’argument selon lequel un commentaire laissé sur un blog relève au moins implicitement de la sphère publique puisque tout le monde, abonné ou non au blog, est censé pouvoir le lire, et que tu peux toujours envoyer un courriel au service client de Gmail pour demander a posteriori à ne plus faire l’objet d’un tel profilage. Mais voilà : pour chocante que soit cette façon de procéder, il m’est déjà arrivé d’en apprendre l’existence à mes dépens !

      Au fond, le cloud computing n’est pas une nouveauté en soi puisque le simple fait d’utiliser Internet nous oblige à laisser des traces plus ou moins parlantes et tenaces sur des serveurs situés, parfois, à l’autre bout du monde, dans des pays où nous ne mettrons jamais les pieds. Ainsi, il est parfaitement logique que d’illustres inconnus lisent ce que nous postons sur des sites publics, à commencer par les blogs, les forums ou Twitter ; c’est d’ailleurs le but de tels écrits : être portés à la connaissance de tous, dans le but avéré de partager de plus en plus facilement avec les autres et de faire de nouvelles rencontres via les discussions qui peuvent résulter de la mise en commun de nos idées ou de nos créations. Mais là où les choses se gâtent sérieusement, c’est lorsqu’un réseau aussi tentaculaire que Twitter propose des fonctionnalités tels que l’échange de « messages privés » entre abonnés, qu’à force d’avoir confiance dans la fiabilité du système et dans sa capacité à stocker en lieu sûr les historiques des discussions nées de si fructueux échanges, on s’habitue à utiliser ce moyen de communication sans crainte… jusqu’au jour où l’on réalise que son compte Twitter a été attaqué par des pirates via un code malveillant qui circulait d’un abonné à l’autre sous forme d’un message privé invitant à cliquer sur un lien vérolé (mais, que veux-tu : comme c’est une personne de confiance, elle-même infectée, qui me l’a envoyé totalement à son insu, j’ai eu le malheur d’ouvrir le lien…), et où tous mes échanges de messages antérieurs au 25 mars ont été effacés à jamais sans que je ne sache qui aurait pu en prendre connaissance lors de cette intrusion. Alors, heureusement que j’ai su être assez paranoïaque pour archiver certaines bribes de communication sur mon disque dur pour garder cette sensation réconfortante de pouvoir y accéder sans devoir être connecté au Net, car, à défaut de cette précaution dont les tenants du cloud computing veulent tant nous déshabituer, non seulement des pirates auraient violé le plus profond de mon intimité, mais en plus, j’aurais notamment perdu, sans aucune exception, tout ce que nous nous sommes écrit en plus de trois mois par cet intermédiaire-là !!! Alors autant utiliser un bon vieux logiciel de mail pour passer le moins de temps possible sur une machine distante (comme le voudraient pourtant tous ces prestataires qui te proposent gentiment de rédiger et consulter abondamment tes courriels sur leur site web ou au moyen d’un logiciel maison constamment connecté à leurs serveurs, l’une des nombreuses fonctionnalités de base de ce fameux iCloud, lancé sous peu) !!!

      En réalité, mes critiques fondamentales quant à cette délégation de souveraineté à l’outil informatique ne s’adressent pas seulement à Apple, étant donné que Google, Facebook ou Microsoft disposent déjà d’une panoplie de services comparables (je pense, par exemple, aux traitements de textes 100% en ligne Office Live et Google Dock, aux sites permettant d’entreposer nos photos en ligne…). De ce point de vue-là, Apple se contentera, en quelque-sorte, de réinventer l’iFil à couper l’iBeurre. Mais il y a bien un terrain sur lequel iCloud innovera pour de bon, et c’est certainement l’un des pires en termes de création et d’accès pluraliste à la culture. À mon avis (mais j’espère presque pêcher par excès de pessimisme, tant je redoute cette évolution), Apple cherchera très vite à tirer profit de son hégémonie grandissante dans la distribution de produits culturels via iTunes et sa ribambelle de stores pour nous faire préférer à la possibilité de stocker nos films, livres ou morceaux de musique sur notre propre ordinateur celle de les consulter à distance sur nos appareils autorisés = dûment enregistrés et répertoriés auprès d’Apple, avec l’avantage, de leur côté, de pouvoir tracer les moindres subtilités de nos habitudes de consommation et de profiter éventuellement de notre temps de passage forcé sur leur site pour nous vendre encore plus de produits culturels. Or, comme nos goûts littéraires ou musicaux en disent parfois encore bien plus long sur notre intimité qu’un texte ou une contribution à un forum que nous savons, quelque-part relativement publique, j’ai comme l’impression que l’on s’apprête ici à franchir une étape de plus dans cette démarche d’expropriation de nos individualités, évolution d’autant plus inquiétante qu’elle ne relève même plus de notre système juridique à nous, mais d’un droit californien réputé des plus perméable aux désirs de ces multinationales (sinon, comment expliquer que toutes les majors du secteur se soient implantées là-bas ?).

      Enfin, pour en revenir brièvement à la question de l’ignorance, je crois qu’il s’agit là d’un but sciemment recherché, car plus notre connaissance se limitera à utiliser les fonctions les plus rentables d’une machine, à transformer chaque clic ou chaque saisie de clavier en bénéfices, mieux nous aurons été conditionnés à consommer docilement. Seule une élite pourra encore vivre de l’informatique ou en donner l’impression, alors que le reste des consommateurs sera largué dans un univers si verrouillé qu’il faudrait passer plus de temps à en trouver les failles qu’à créer de sa propre initiative, tant et si bien que toi aussi, tu passeras bientôt inaperçue dans la masse des consommateurs lambda, au même point que moi, qui me serais pourtant délecté de ton ignorance il y a cinq ans… ! Est-ce là ce qu’on appelle l’uniformisation des savoirs ??? Honnêtement, à ce compte-là, je préfère, plus que jamais, te savoir pleinement consciente de la nécessité de préserver ton individualité et ton originalité que de savoir dans quelle mesure tu gagnerais encore à améliorer tes connaissances techniques !!!

      Merci, en tous cas, pour ton encourageant et précieux commentaire, et au plaisir de te lire très bientôt ! Quatre bisous et tiens-toi bien !

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