SUR UN AIR D’AMOUR-CLASH : « LILA » DE LAURENCE DÉLIS, MA SUGGESTION LITTÉRAIRE DE JUIN:-)

Ne souhaitant pas m’arrêter en si bon chemin après ma recommandation de lecture du mois dernier et ma version française des paroles de « 99 Luftballons » d’il y a près de deux ans, j’ai choisi de continuer à emprunter le pont entre les arts, et de vous suggérer aujourd’hui, en lien avec le refrain de « Should I Stay Or Should I Go » dont je vous proposerai une traduction en rimes en toute fin de billet, de lire le premier roman d’une autre fidèle amie des mondes virtuels, à savoir « Lila » de Laurence Délis, paru à l’automne 2015 aux éditions Ipagination, disponible, entre autres, directement auprès de l’éditeur, sur papier ou en version numérique (formats Epub sans DRM ou Kindle).

En vérité, bien que cet ouvrage représente effectivement sa prime incursion dans l’univers des livres, Laurence Délis n’est pas exactement ce qu’on pourrait appeler une novice de la plume, étant donné qu’elle avait déjà pris du plaisir à manier les mots à l’adolescence, et qu’elle y est revenue depuis 2013 environ, au sortir d’un silence littéraire d’une trentaine d’années pendant lesquels elle avait troqué la feuille contre la toile pour se consacrer pleinement à son activité d’artiste peintre, nous honorant désormais d’un joli bouquet de textes largement agencé autour des couleurs de l’amour, mais sans exclusive… Forte de son expérience d’auteur et d’animatrice sur le site d’Ipagination, stimulée, depuis peu, par une intéressante communauté informelle de blogueurs particulièrement réceptive à ses mots et ses réflexions dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler « l’agenda ironique », la voilà donc qui parvient de nos jours, pour notre plus grand bonheur, à trouver un point d’équilibre entre ces deux fibres créatrices de rêves, d’imaginaires, de sensations hétéroclites, de profondes émotions ou d’envies de croire en un avenir meilleur, à jouer tantôt avec la couleur des mots et des styles, tantôt avec celle de ses paysages, comme en témoignent ses écrits, par ici, ou ses tableaux, par là.

Fidèle à son habitude de confier systématiquement le rôle du héros ou du narrateur à un personnage masculin, généralement imprévisible, impulsif et d’une fragilité qui lui confère toute son humanité, de quoi s’offrir d’agréables latitudes avec sa propre condition de femme et transposer à l’écriture un sens du détail qu’elle a déjà eu tout loisir d’affûter dans la peinture, elle y ajoute ici un élément essentiel à une histoire en mouvement perpétuel : son choix de rédiger l’intrigue sous forme d’un journal intime tout au long duquel Gabriel, presque aussi éperdument amoureux de ses montagnes que de son inégalable  Lila des Landes (avec ce « presque » qui finira par tout changer), s’adresse directement à celle-ci afin de reconstituer a posteriori, à peu près aussi  minutieusement que dans un scénario de film ou une pièce de théâtre, les pièces d’un puzzle relationnel à jamais inachevé… Et c’est justement cette instabilité permanente au sein de leur couple, cette dualité entre attirance et répulsion, proximité et éloignement, qui m’a tenu en haleine jusqu’à la chute, chaque chapitre amenant incontestablement son lot de suspense, de surprises et de brusques revirements, tout à l’image de leurs caractères hautement indomptables, à mesure que passent les jours, puis les semaines, les mois et les années, comme autant d’actes et de scènes d’une tragédie de notre siècle.

À l’inverse d’un traditionnel conte de fées, tout ne fait que débuter lorsque Gabriel, qui avait entraperçu Lila lors d’un premier voyage sur la côte atlantique, décide de prendre un congé sabbatique pour vivre à ses côtés aussi longtemps que possible, car Lila, elle aussi follement amoureuse de Gabriel, mais foncièrement attachée à son environnement océanique, sa liberté et ses amis, redoute de s’engager plus durablement dans une vie commune qui impliquera nécessairement des concessions. Dans ces moments où tout, à commencer par la proximité géographique, est censé les unir, les coeurs s’éloignent et se ferment à la raison, et seuls les liens entre leurs corps en fusion leur donne l’énergie de communiquer à nouveau. Et a contrario, lorsque les chemins de leurs vies se séparent dans la mesure où Gabriel doit / veut retourner gravir quelque sommet alpin pendant que Lila noie ses contradictions dans des travaux de traduction ou des escapades chez des amis, tous leurs faits et gestes respectifs semblent marqués du sceau de l’absence ou de la peur de ne plus trouver moyen de se comprendre la prochaine fois qu’ils se reverront, leurs échanges par mail ou téléphone portable préfigurant d’ailleurs très souvent les difficultés qu’ils auront alors à surmonter.

De même, tout à l’inverse de la formule « ils se marièrent, eurent beaucoup d’enfants et vécurent heureux jusqu’à la fin des temps », c’est de haute lutte qu’ils arriveront à faire perdurer leur relation, à se marier et à fonder une famille, sans jamais se résoudre pour autant à élire définitivement domicile chez l’un(e) d’eux. De quoi exaspérer plus d’une fois leurs proches qui ne veulent pas croire que tout puisse être d’une complexité à ce point irrémédiable entre eux, mais qui n’en contribueront pas moins à les prémunir de cette petite goutte d’eau qui ferait déborder pour toujours le vase de leurs excès, entre autres lorsque Gabriel, trop possessif et jaloux pour envisager que Lila puisse se satisfaire d’autre-chose que de liens exclusifs, se terre dans un mutisme désespérant dans l’espoir de ne jamais devoir entendre qu’elle est tombée enceinte, conscient que le futur enfant réclamera bien davantage qu’une petite part d’amour, ou lorsque Lila tentera, à son tour, de lui cacher sa seconde grossesse jusqu’au dernier instant.

Lila, c’est donc le titre du livre, mais surtout ce prénom, répété délibérément au fil des pages et du temps qui passe, parfois avec une insistance frisant l’obsession dont je me fais ici l’écho d’une manière tout aussi intentionnelle…, très précisément parce que Gabriel est obsédé jour et nuit par Lila, au point de ne plus vraiment être en mesure de distinguer la réalité de son être ou de leur relation de la femme idéale qu’il passera sa vie à chercher en vain, parce que Lila est à la fois sa raison et sa déraison d’être, parce que c’est encore elle, Lila, qui aura le mot de la fin malgré elle, pour s’être entêtée une fois de trop, parce que Lila sera vouée à ne plus vivre que dans ses rêves, dans ses mots qu’elle ne lira jamais ou à travers leur descendance, sans que l’histoire ne nous dise s’il parviendra à se nourrir de leur amour ou à retrouver un jour sa paix intérieure. Lila et Gabriel ont, tous deux, le don de déranger, d’agacer, d’effrayer, d’ébranler constamment la confiance du lecteur en leur aptitude à réfréner leurs pulsions destructrices avant qu’il ne soit trop tard, mais la délicatesse et la sensibilité de l’écriture et le recul de Gabriel, désormais disposé à une introspection et à une certaine objectivité dont il était foncièrement incapable dans le feu de l’action, ont suscité, au contraire, toute mon empathie, ma compréhension et mon estime pour ces deux êtres à qui la vie, leurs déséquilibres psychiques, la distance, le temps et les préjugés des autres n’auront tout simplement pas permis de flotter sur les eaux d’un long fleuve tranquille, de sorte que je retiendrai surtout de ce magnifique ouvrage que leur histoire est une émouvante leçon de tolérance, de respect des différences, de courage et de ténacité face à l’adversité, un vibrant appel à vivre, à recevoir, donner et partager de l’amour dans un monde qui déborde déjà assez de haine, une ode à la liberté absolue des sens et à celle de tout être humain à disposer librement de son corps !

Étant donné que je partage avec l’auteur cette passion pour la musique, ce qui m’amène à en écouter énormément à tous les stades d’ l’existence, c’est tout naturellement que j’ai ressenti l’envie d’associer un morceau de musique ou une chanson à la tonalité du livre, et que mon choix initial s’est porté sur les paroles de l’indémodable « Je t’aime, moi non plus », composées par le regretté Serge Gainsbourg. Mais peut-être ne mériterais-je pas tout à fait mon pseudo TransEuropeEscape si j’avais omis d’attacher de l’importance à un tout petit détail qui m’a fait creuser un peu plus loin : c’est que les phases de vie commune de Gabriel et Lila, qu’elles se déroulent sur la Côte Ouest ou tout à l’autre bout du pays, en plein massif alpin, sont toujours délimitées par des voyages en train, moyen de transport que nos deux protagonistes n’empruntent donc jamais ensemble pour joindre leurs domiciles affectifs respectifs. De fait, les rails, bien que jamais évoqués en tant que tels dans le récit, deviennent une sorte de métaphore implicite de l’infime ligne de démarcation entre retrouvailles et (risque de) rupture des liens, entre proximité et éloignement, entre osmose charnelle et glaciation des sentiments, entre le désir de Gabriel de rester / retourner chez Lila et sa brusque envie de partir / de faire dmi-tour alors qu’il venait tout juste d’arriver à la gare la plus proche de chez elle…

Voilà pourquoi j’ai finalement jeté mon dévolu sur un autre classique, dans un genre bien plus punk cela dit, en l’occurence le célèbre « Should I Stay Or Should I Go » (dois-je rester ou partir ?) du groupe britannique « The Clash », où il est aussi beaucoup question d’indécision, de contradictions permanentes, de jeux de séduction, d’attraction, puis de répulsions. Et puisque j’ai tout de suite réalisé qu’il y avait parfaitement moyen de transposer les paroles du refrain en vers libres sans trop y perdre, ni en substance originale, ni en rythme, c’est avec délectation, puis avec le plaisir d’une mission accomplie, que j’aimerais rendre cet hommage très personnel à Lila, elle aussi traductrice à ses heures, et en cela, lointaine consoeur dans un monde parallèle qu’il ne m’aurait jamais été donné de découvrir sans l’intermédiation des mots de ma fidèle amie de plume Laurence Délis:-)

Un petit souci pour lancer la vidéo ? Cliquez ici:-)

L’original, tout d’abord :

Should I stay or should I go now
Should I stay or should I go now?
If I go, there will be trouble.
And if I stay, it will be double.
So, come on and let me know (« and so you got to let me know » après la seconde strophe)!
Should I stay or should I go?

Ma traduction, ensuite :

Est-ce que j’dois rester ou partir ? (bis)
Si j’ m’en-vais, y aura des dégâts.
Si j’ reste, c’est deux fois plus qu’y en aura.
Allez, dis-moi à quoi m’en tenir / faudra bien qu’ tu m’ dises à quoi m’en tenir!
Est-ce que j’ dois rester ou partir ?

Paroles traduites par mes soins : « 99 Luftballons » de Nena, la chanson qui allait faire détester à jamais la guerre au gamin de 9 ans que j’étais alors

Dernière modification substantielle : le mardi 15 octobre 2019.

 

Qui d’entre vous, y compris parmi les plus jeunes, n’a pas déjà entendu distraitement / écouté avec délectation plusieurs dizaines de fois dans sa vie ce tube planétaire, voire interstellaire, si célèbre que même les Américains, à qui l’on avait pourtant destiné un « 99 Red Balloons » bien à eux afin de ne pas heurter de front leur accoutumance à l’hégémonie de l’anglais dans la culture pop, n’en persistaient pas moins à en jouer la version originale allemande pour ne pas se sentir déconnectés du reste de l’Humanité ?! Quel DJ ne l’a pas déjà sorti de ses cartons de vinyles ou de je ne sais quelle platine numérique à la mode pour entraîner l’assistance vers la piste de danse et lui extirper des cris de joie ou des hurlements extatiques encore amplifiés par de colossales quantités d’alcool ou de boissons énergisantes, sans qu’il ne soit nécessaire, pour cela, d’avoir la moindre notion préalable d’allemand, et, a fortiori, la moindre notion de la portée des paroles sur lesquelles on était en train de se trémousser le plus innocemment du monde;-) ?!

D’autres, peut-être, s’en souviennent avec nostalgie parce qu’ils l’associent immanquablement à leur enfance ou leur première rencontre amoureuse…:-)

Quoi qu’il en soit, en ces temps où nous ne sommes jamais qu’à quelques menues encablures du prochain événement sportif susceptible, selon les cas, d’unir les peuples dans une joyeuse célébration du dépassement de soi ou de leur fournir un redoutable ersatz de guerre, d’une part, et en cette année du trentième anniversaire de la chute du Mur de la Honte, de l’autre, j’aimerais néanmoins vous narrer, par le truchement de ma traduction de paroles, cette histoire de ballons de baudruche, au contexte historique et géopolitique autrement plus sérieux qu’un match de football ou qu’un jeu de stratégie sur console, qui m’avait fait comprendre dès mon plus jeune âge à quoi pourrait mener la bêtise humaine si nous n’y prenions garde.

Car en 1983, en pleine crise des euromissiles, l’Europe en général, l’Allemagne en particulier, servait de macabre « terrain de jeu » aux deux superpuissances mondiales qu’étaient alors les États-Unis et l’URSS dans le cadre de ce qu’on appelait la Guerre Froide, au point d’en être divisée en deux blocs séparés plus ou moins hermétiquement par le « Rideau de Fer », un ensemble de barbelés et autres équipements gardés par des armées entières et des mitrailleuses automatiques programmées à dessein pour exécuter sans sommation tout ce qui bougeait dans le périmètre de leur radars, y compris les oiseaux qui avaient le malheur de ne pas saisir toute la relativité de l’expression « libre comme l’air » en pareil endroit…

La partie la plus emblématique de ce rideau était incontestablement le Mur de Berlin, érigée en « rempart antifasciste et anti-impérialiste » par le génie maléfique de la propagande du Parti socialiste unifié de RDA, qui coupait en deux parts inégales la capitale historique de l’Allemagne, tout en encerclant méticuleusement Berlin Ouest dans l’espoir, finalement vain, de l’isoler à la longue du reste du monde occidental.

Au déploiement de missiles SS20 par les Soviétiques dans leurs États satellites du Pacte de Varsovie, surtout en Tchécoslovaquie et en RDA, l’Amérique de Ronald Reagan avait répondu dans l’immédiat par la dissémination de ses missiles Pershing II sur le territoire de ses alliés de l’OTAN à la suite d’une demande explicite du gouvernement ouest-allemand qui remontait déjà à 1979, puis, à plus longue échéance, par son « Initiative de Défense Stratégique (IDS), plus connue sous son appellation médiatique / propagandiste de « Guerre des Étoiles »… Autant d’armes à capacité nucléaire réelle et sérieuse ou de projets aussi effrayants que démesurés de nature à transformer la Guerre Froide en véritable troisième conflit mondial au moindre incident.

Et encore : l’Histoire ne peut dire ce qu’il serait advenu de l’Humanité vingt ans plus tôt, déjà, si l’Administration Kennedy avait fini par céder, dans le prolongement de la crise des missiles de Cuba à l’automne 1962, à la volonté farouche et maintes fois réitérée de Franz Josef Strauß, alors ministre de La Défense et anticommuniste viscéral, de doter la RFA de la bombe atomique afin de lui conférer sa propre force de dissuasion et de riposte… !

En revanche, ce qui ne fait désormais plus aucun doute de nos jours, mais qui a beaucoup été passé sous silence à l’époque, et pour cause, c’est qu’au moment où les 99 ballons de Nena commençaient à prendre de la hauteur dans les Charts, le monde entier, déjà échaudé par la mort tragique des 269 passagers d’un vol civil régulier de la Korean Airlines abattu par l’aviation soviétique le 1er septembre pour avoir violé l’espace aérien de l’URSS, a failli être enflammé pour de bon par deux étincelles de trop. Soient, en somme, trois occasions de frôler la guerre planétaire en moins de trois mois, rien de moins… !

Tout d’abord, c’est une fausse alerte nucléaire sur une base soviétique qui a failli mettre le feu aux poudres le 26 septembre, et c’est uniquement au pragmatisme de l’officier de garde qu’on doit d’avoir évité à l’URSS de répliquer par de véritables tirs à des réflexions du soleil que le logiciel de bord d’un satellite de détection précoce avait interprétées à tort comme des lancements de missiles balistiques depuis une base américaine. Puis, du 7 au 11 novembre, ce fut autour de  l’opération Able Archer 83, un exercice militaire de l’OTAN dans lequel URSS et RDA avaient vu de véritables préparatifs à une attaque dans le monde réel, la tension étant seulement retombée pour un temps lorsque les services de renseignements de l’Est ont commencé à s’apercevoir de leur nouvelle méprise… Comme quoi, la série télévisée Deutschland 83 n’a tout de même pas pris tant de largesses que cela avec l’Histoire… !

Mis au monde par une mère allemande dont une partie de la famille était restée à l’Est avant tout par choix de ne pas abandonner ses biens aux forces d’occupation ou aux pillards, j’étais alors persuadé d’être né et de vivre du bon côté du Mur, celui où règnent la liberté, la justice et la prospérité, où l’on avait donc toutes les bonnes raisons du monde d’oeuvrer à la chute de « l’empire du mal » communiste après s’être débarrassé du 3e Reich quarante ans plus tôt. Et ce n’était pas la police aux frontières est-allemande qui m’aurait fait changer d’avis si elle n’avait pas eu la bonne idée de bien vouloir attendre juillet 1989 pour m’offrir l’un des plus grands moments de frayeur de ma jeunesse, à savoir celui de manquer de me retrouver en centre de rétention administrative, puis expulsé vers la France pour tentative d’entrée irrégulière sur le territoire, simplement parce que mon père avait omis de signer son passeport et que moi aussi, j’y figurais encore en tant qu’enfant de moins de 15 ans.

Mais dans le contexte d’une révolte pacifiste massive outre-Rhin qui allait atteindre son paroxysme en 1984 avec des chaînes humaines d’une centaine de kilomètres de long et des slogans tels que « lieber rot als tot » (plutôt rouge que mort), d’une révolte qui se nourrissait aussi bien de cette course folle aux armements dévastateurs que des risques incalculables liés à la construction, à l’exploitation et au démantèlement de centrales nucléaires dont il était bien permis de douter du caractère exclusivement civil, cette chanson a largement contribué à faire voler en éclat la vision manichéenne des événements qui s’était jusque là imprimée dans mon jeune cerveau, car au fil des discussions avec ma mère au sujet des paroles et de ses interrogations sur l’état de la planète tout entière, je me suis mis à réaliser combien nous, Occidentaux, mettions aussi beaucoup d’huile sur le feu à tant vouloir imposer aux autres notre mode de vie, le cas échéant par la force, quitte à ce que celle-ci soit loin d’être circonscrite à des cibles militaires.

Dès cette époque, donc, j’ai détesté la guerre, non seulement du fait de cette peur originelle d’en devenir moi-même victime à l’occasion d’une attaque nucléaire, tout comme mes ancêtres de part et d’autre du Rhin l’avaient été au fil des conflits à répétition entre la France et l’Allemagne par la faute des armes conventionnelles ou chimiques, mais aussi et surtout, à mesure qu’augmentait mon niveau de prise de conscience des problèmes de ce monde, parce que l’ex-Yougoslavie, le Rwanda, le Darfour, le Yémen ou la Syrie n’ont eu de cesse de me confronter aux récits des morts inutiles, des destructions, des actes de torture, de cruauté gratuite, voire de génocides.

Ce 9 novembre 1989 où le Mur est enfin tombé, je m’en souviendrai encore longtemps comme l’un des plus beaux jours de ma vie, bien que je n’aie assisté à cet immense moment d’Histoire qu’au travers des émissions spéciales de toutes les chaînes de télévision ou des stations de radio qu’il m’était donné de capter depuis ma chambre à Strasbourg. Aux anges que j’étais, tout simplement, à l’idée de sentir se réaliser mon rêve de réconciliation de l’Europe et la volonté de réunification de tout un pays ; assez naïf et idéaliste, aussi, pour pouvoir me payer le luxe de ne pas encore devoir m’imaginer que l’avenir serait beaucoup moins rose, qu’en 2015, un gouvernement autrichien ferait réinstaller des barbelés en guise de « rempart anti »migrant » à l’endroit même où les Hongrois avaient ouvert la toute première brèche dans le rideau de fer 26 ans plus tôt à l’occasion du fameux piquenique paneuropéen

Et aujourd’hui encore, j’ai le plus grand mal à retenir une larme à l’écoute de la dernière strophe des paroles que voici, « enfin », vous direz-vous peut-être… !

« Si tu as un peu de temps pour moi ?

Alors, je vais chanter pour toi

Une chanson sur les 99 ballons

En plein vol vers l’horizon.

Peut-être que tu es tout juste en train de penser à moi.

Alors, je vais chanter pour toi

Une chanson sur les 99 ballons,

Et tout ça pour ça…

99 ballons

En plein vol vers l’horizon,

On les a pris pour des ovnis tout droit venus de l’Espace…

Voilà pourquoi un général a envoyé à leurs trousses un escadron de chasse,

Pour donner l’alerte, au cas où elle serait vraie, la menace.

Et dire que là-bas à l’horizon,

Il n’y avait que 99 ballons !

99 pilotes de chasse,

Chacun d’eux était un grand guerrier.

Ils se sont pris pour le Capitaine Kirk.

À un grand feu d’artifice ils se sont livrés.

Les voisins n’ont rien pigé,

Et se sont tout de suite sentis agressés.

Dire que là-bas, à l’horizon,

On a juste tiré sur 99 ballons !

99 ministres de la guerre,

Allumette et bidon d’essence à la main

Se sont pris pour de grands malins,

Ont déjà flairé le gros butin,

Ont crié à la guerre et voulu le pouvoir.

Franchement : qui aurait pensé qu’on en arriverait là avec cette histoire

Pour 99 ballons…

99 ballons…

99 ballons… ?!

99 ans de guerre

À des vainqueurs n’ont plus laissé aucune place.

Il n’y en a plus, des ministres de la guerre,

Ni des pilotes de chasse.

Aujourd’hui, je fais mes rondes,

Et vois le monde en ruines s’étaler.

J’ai trouvé un ballon.

J’ pense à toi, et j’ le laisse s’envoler

… … … … …